Gentilly-2 et la sécurité publique







Canadian Coalition
for Nuclear
Responsibility






Regroupement pour
la surveillance
du nucléaire

Le réacteur Gentilly-2 et la sécurité publique

INFORMATIONS DE BASE ~ AOÛT 1995

[ English Version ]


par Gordon Edwards, Ph.D., président,
Regroupement pour la surveillance du nucléaire


  1. Gentilly-2 et les autres réacteurs nucléaires
  2. Alimentation d'urgence en électricité
  3. Accidents dans les conduites de vapeur
  4. Les ruptures de tubes de force
  5. Les soupapes de relâchement de la pression
  6. Le système de confinement
  7. Quelques citations



1. Gentilly-2 et des autres réacteurs nucléaires

Gentilly-2 est un réacteur nucléaire de 600 mégawatts qui utilise de l'uranium naturel comme combustible. Pour en venir à générer 600 mégawatts d'énergie électrique, le coeur du réacteur doit produire 3 fois cette quantité d'énergie sous forme de chaleur: c'est-à-dire 1 800 mégawatts de chaleur. La chaleur, qui est retirée du coeur du réacteur par de l'eau lourde poussée par de puissantes pompes, sert à faire bouillir de l'eau ordinaire, et la vapeur qui en résulte fait tourner les hélices d'une turbine pour générer de l'électricité.

La chaleur dont on a besoin est produite par le fractionnement, ou la «fission», d'atomes d'uranium, ce qui libère de l'énergie atomique. Cependant, les morceaux brisés des atomes d'uranium sont de nouveaux matériaux, intensément radioactifs et hautement toxiques, qu'on appelle les «produits de la fission».

Il y a des centaines de produits de fission différents -- des poisons radioactifs tels l'iode-131, le strontium-90, le césium-137, le krypton-85, etc. À cause de l'accumulation de ces produits de fission dans le combustible, une grappe de combustible usée est des millions de fois plus radioactive qu'une nouvelle grappe de combustible qui ne contient que de l'uranium. En fait, une grappe de combustible usé est probablement l'objet le plus meurtrier qui puisse exister sur terre.

Une catastrophe nucléaire est un accident qui entraîne le relâchement d'une importante fraction de ces produits de fission dans l'environnement. L'accident de Tchernobyl par exemple a relâché environ 3 % (trois pour cent) des matériaux radioactifs du coeur du réacteur dans l'environnement. En principe, un accident tout aussi catastrophique peut survenir à tout réacteur nucléaire, y compris Gentilly-2. Une telle catastrophe pourrait occasionner pour des dizaines de milliards de dollars de dommages, à cause de la contamination des édifices, du sol et des approvisionnements en eau. À cause de cela, les compagnies d'assurance n'offrent aucune couverture à aucun de leurs clients dans les cas de contamination radioactive provenant d'une catastrophe nucléaire. Un tel accident pourrait également tuer des milliers de personnes, à cause des effets biologiques à retardement des radiations -- principalement des cancers et des malformations des foetus.

Gentilly-2, comme tous les réacteurs nucléaires, est équipé d'un certain nombre de systèmes de sécurité conçus pour éviter qu'il se produise des accidents graves. Malgré tout, comme nous le savons tous, il y aura des accidents -- et les pires accidents sont souvent ceux auxquels on ne s'attend pas du tout. Ces dernières années, il y a eu un certain nombre de problèmes de sécurité auxquels on ne s'attendait pas à Gentilly-2, et tous ont nécessité de très dispendieuses mesures correctives qui ont chacune coûté des millions de dollars.

2. Alimentation d'urgence en électricité

Pendant les 15 dernières années, il y a eu une forte augmentation de la fréquence des pannes d'électricité générales au Québec. Quand il y a une panne générale prolongée, le réacteur Gentilly-2 doit arrêter de fonctionner -- il ne peut pas continuer à fonctionner, parce qu'il ne peut envoyer son électricité nulle part. Mais on ne peut pas arrêter la production de chaleur dans le coeur du réacteur. Même après qu'on ait arrêté le fonctionnement du réacteur, il continue de se produire de la chaleur à peu près à 7 % (sept pour cent) de la «capacité maximale», à cause de l'intense radioactivité des produits de fission. Sept pour cent de 1 800 mégawatts c'est beaucoup de chaleur -- à peu près 125 mégawatts! Si on n'enlève pas cette chaleur, le coeur va fondre et il peut se produire une catastrophe.

Par conséquent, même pendant une panne générale, Gentilly-2 doit avoir du courant électrique pour faire fonctionner les énormes pompes qui font en sorte que la chaleur soit évacuée du coeur du réacteur. C'est pourquoi il y a plusieurs génératrices au diésel à Gentilly-2 qui peuvent être mises en oeuvre pendant une situation d'urgence de façon à donner suffisamment de courant électrique pour faire fonctionner les pompes, la salle de contrôle, et d'autres équipements essentiels. Mais ces génératrices d'urgence ne sont pas aussi fiables qu'on le souhaiterait, et l'expérience de leur fonctionnement n'a pas toujours été bonne.

Pour que la population soit adéquatement protégée, la Commission de contrôle de l'énergie atomique (CCÉA) a exigé d'Hydro-Québec qu'il y ait un approvisionnement électrique sécuritaire et fiable pour le réacteur Gentilly-2 dans le cas qu'il se produise une panne généralisée qui se prolongerait. Cette exigence de sécurité a constitué une des raisons principales fournies par Hydro-Québec pour construire la centrale à turbines à gaz (TAG) à Bécancour, à l'intérieur de la zone d'exclusion du réacteur nucléaire Gentilly-2. La centrale à turbines à gaz a coûté des centaines de millions de dollars, et elle produit de l'électricité de pointe à plus de 50 cents le kilowatt-heure. Gentilly-2 est le seul réacteur au monde où on ait construit juste à côté d'elle une autre usine de génération d'électricité, utilisant des combustibles fossiles. Il n'est pas toujours facile de s'assurer que les réacteurs nucléaires soient sécuritaires!

3. Accidents dans les conduites de vapeur

Quand Gentilly-2 a été construit, personne n'a pensé à la possibilité qu'un accident puisse tuer tout le monde dans la salle de contrôle du réacteur nucléaire, ce qui pourrait mener à un accident catastrophique. (Même si le réacteur est arrêté, la chaleur doit toujours être enlevée du coeur pour qu'il ne se produise pas une catastrophe -- et on ne peut pas garantir que ça puisse se faire si les opérateurs sont morts.) Il y a quelques années de cela, la CCÉA s'est rendue compte qu'une rupture soudaine d'un des tuyaux de vapeur passant au-dessus du toît de la salle de contrôle pourrait, en fait, tuer tout le monde à l'intérieur et rendre la salle de contrôle inutilisable. De toute évidence, cette improbable situation pourrait être très périlleuse pour toute la population.

Au début, la CCÉA voulait qu'Hydro-Québec relocalise les tuyaux de vapeur, mais Hydro-Québec considérait que ce serait trop coûteux. À la place, ils ont offert de faire des changements importants dans la conception interne du bâtiment, de façon à minimiser les conséquences d'une rupture dans les tuyaux de vapeur, et de continuellement surveiller avec précaution les tuyaux, de façon à pouvoir détecter tout affaiblissement qui pourrait (ou ne pourrait pas) se produire avant qu'une telle rupture survienne. On travaille toujours à la réalisation de ces corrections. C'est une question de jugement de considérer qu'elles soient adéquates pour éliminer la possibilité d'un accident catastrophique qui serait causé par la rupture d'un tuyau de vapeur.

4. Les ruptures de tubes de force

Une des sortes d'accidents les plus dangereux qui puisse se produire dans tout réacteur nucléaire, c'est un accident où il y a perte du caloporteur (PERCA). Ça peut être occasionné par une cassure d'un tuyau, ou une soupape qui demeure ouverte, et qui permet à l'eau qui sert normalement à enlever la chaleur du coeur du réacteur de s'échapper. Sans refroidissement adéquat, le coeur du réacteur deviendra trop chaud et des produits de fission s'échapperont du combustible endommagé, dont beaucoup seront sous forme de gaz et de vapeurs radioactifs. Si ces matériaux s'échappent en quantités suffisantes dans l'environnement, il s'ensuivra une catastrophe nucléaire.

Tout réacteur CANDU a un système de refroidissement d'urgence de son coeur (RUC) qui doit inonder le coeur du réacteur avec de l'eau ordinaire advenant une PERCA, de manière à l'empêcher de surchauffer. Quelquefois, pourtant, le système de refroidissement d'urgence n'est pas disponible. La CCÉA permet que le système de refroidissement d'urgence ne soit pas disponible pendant huit heures par année, et dans certains cas il n'est pas disponible pendant des périodes de temps beaucoup plus longues. Si un important PERCA se produisait pendant une telle période, le coeur du réacteur pourrait être gravement endommagé et il pourrait en résulter une catastrophe nucléaire.

Le premier PERCA dans une centrale nucléaire canadienne s'est produit à Pickering, juste à côté de Toronto, en 1983, quand un tube de force (tube sous pression qui contient le combustible) s'est cassé sans avertissement dans le coeur du réacteur. Quelques années auparavant, des experts du nucléaire avaient soutenu qu'un tube de force ne pouvait pas se rompre de façon soudaine, parce qu'il commencerait par y avoir une fuite longtemps avant qu'il n'en vienne à casser, ce qui donnerait suffisamment de temps aux opérateurs pour fermer le réacteur et corriger la situation. Mais les experts avaient tort.

Heureusement, ça n'a pas été un gros PERCA, et on n'a pas eu besoin du système de RUC pour empêcher la surchauffe du combustible. Presque tout le combustible est demeuré intact et, par conséquent, il n'y a pas eu beaucoup de radioactivité qui s'est échappée. Pourtant, les réparations au coeur du réacteur de Pickering ont duré quatre ans et ont coûté plus de 500 millions de dollars. Il a fallu remplacer tous les tubes de force, du fait que plusieurs d'entre eux montraient des signes d'une grave détérioration, certains étant en train de former des boursouflures. Si plusieurs tubes s'étaient brisés en même temps, on aurait eu à s'occuper d'une situation beaucoup plus préoccupante.

Tous les réacteurs CANDU ont des tubes de force, et ils se détériorent tous avec le temps. Mais le coût pour remplacer tous les tubes de force est si élevé qu'Ontario Hydro a décidé de fermer certains de ses réacteurs de façon permanente plutôt que de dépenser l'argent nécessaire à leur réparation. À Gentilly-2, jusqu'à tout récemment, Hydro-Québec songeait aussi remplacer tous les tubes de force; mais maintenant, pour épargner de l'argent, ils ont décidé d'essayer quelque chose de moins dispendieux -- de réajuster les «ressorts de soutien» (en anglais, «garter springs») qui entourent les tubes de force à l'intérieur du coeur du réacteur, pour les empêcher de bomber et il est à souhaiter qu'ils ne développent pas le même genre de soufflures qu'on a constatées dans les tubes de force à Pickering. Cette façon de faire n'arrête pas ou ne fait pas reculer la détérioration des tubes de force, mais peut-être qu'elle la ralentira.

5. Les soupapes de relâchement de la pression

En décembre 1994, un deuxième PERCA s'est produit dans un réacteur nucléaire canadien. Cette fois-ci, ce n'était pas un tube de force, mais une soupape de relâchement de la pression qui s'est brisée à Pickering. Le mélange surchauffé d'eau et de vapeur s'échappant par cette soupape brisée, une puissante vibration secoua tellement le tuyau qu'il s'est cassé, ce qui a entraîné un grave PERCA qui a rendu indispensable -- pour la première fois de l'histoire canadienne -- l'utilisation du système de RUC pour empêcher que le combustible nucléaire soit endommagé. Dans le même sens, il y a également eu des accidents impliquant des bris de soupapes dans un réacteur CANDU en Corée du Sud, et -- en mai 1995 -- à un des huit réacteurs de la centrale Bruce en Ontario. Dans ces cas-là, les vibrations n'ont toutefois pas causé la cassure des tuyaux.

En juin 1995, la CCÉA a rendu publique son analyse de ces accidents. Leurs conclusions étaient qu'un semblable accident pourrait survenir n'importe quand à Gentilly-2, et que les vibrations qui en résulteraient pourraient fort bien provoquer des cassures de tuyaux ou des dommages à d'autres soupapes, tout ceci entraînant un grave PERCA. Hydro-Québec n'a pas commenté la situation, et il se peut qu'elle ne soit pas d'accord avec la CCÉA quant à la possibilité qu'un tel accident se produise ou sur la nécessité d'entreprendre le travail de refaire le concept du système de contrôle de la pression.

6. Le système de confinement

Si le combustible nucléaire est endommagé, de grandes quantités de matériaux radioactifs peuvent s'échapper dans le bâtiment du réacteur. Toutefois, le bâtiment du réacteur est doté d'un système élaboré de confinement qui est conçu pour prévenir le relâchement dans l'environnement de la grande partie de ces matériaux. Si le système de confinement fonctionne à la perfection, on peut alors éviter une catastrophe, même si le coeur du réacteur fond, comme ça s'est produit à Three Mile Island en 1979.

Mais le problème c'est que le système de confinement lui- même n'est pas toujours disponible. Comme pour le système de refroidissement d'urgence, il peut légalement ne pas être disponible jusqu'à huit heures par année, et il peut quelquefois ne pas être disponible pour des périodes de temps beaucoup plus longues.

À Gentilly-2, la non-disponibilité prévue du système de confinement pour les dernières années a été comme suit:

......1989..........38 heures...................1990..........34 heures

......1991..........31 heures...................1992..........32 heures

......1993..........34 heures...................1994..........29 heures

Comme l'a présenté la CCÉA dans son Évaluation de l'exploitation de la centrale Gentilly-2 en 1994:
«En 1994, la performance des systèmes spéciaux de sûreté a été adéquate. Hydro-Québec a respecté nos exigences quant à l'indisponibilité prévue de trois des quatre systèmes spéciaux de sûreté; celle du système du confinement demeure élevée.»

7. Quelques Citations

Les inconditionnels du nucléaire disent souvent que des accidents nucléaires catastrophiques ne sont pas vraiment possibles. C'est ce qu'ils ont dit au sujet de Three Mile Island avant l'accident de 1979. C'est ce qu'ils ont dit au sujet de Tchernobyl avant l'accident de 1983. C'est ce qu'ils disent au sujet de Gentilly-2 aujourd'hui.

Tout réacteur nucléaire contient un énorme inventaire de poisons radioactifs qui sont créés à l'intérieur du réacteur en tant que sous-produits normaux de son fonctionnement normal. Si un petit pourcentage de ces matériaux s'échappe dans l'environnement, c'est une catastrophe. À Tchernobyl, seulement 3 % (trois pour cent) de l'ensemble de l'inventaire radioactif s'est échappé dans l'environnement.

Il est exact de dire que de grandes précautions ont été prises pour construire ces réacteurs de façon à ce que la population soit protégée contre les catastrophes. Cependant, malgré tout, la technologie n'est pas parfaite; et il survient des accidents.

En 1974, la Nuclear Regulatory Commission des États-Unis a publié un rapport auquel on a donné le nom de Reactor Safety Study (« Étude sur la sécurité des réacteurs » ~ WASH-1400), par Norman Rasmussen du M I T. Ce rapport étudiait la probabilité et les conséquences qu'auraient les accidents catastrophiques de réacteurs nucléaires. Il n'y a jamais eu d'étude comparable sur les réacteurs CANDU au Canada.

Après l'accident de Three Mile Island, le Président des États-Unis a ordonné la mise en place d'une commission d'enquête sur les causes de l'accident. Cette commission a découvert qu'une des plus importantes contributions à l'avènement de l'accident avait été cette croyance non-fondée des gens de l'industrie nucléaire que les réacteurs sont sécuritaires. La Commission a alors souligné que l'énergie nucléaire ne devrait jamais être considérée comme une technologie sécuritaire en soi, mais plutôt comme une technologie fondamentalement dangereuse.

Voici quelques citations (traduites de l'anglais par le RSN) provenant de documents gouvernementaux sur la possibilité d'accidents catastrophiques dans un réacteur canadien CANDU comme celui de Gentilly-2:

[ CITATIONS ]

[ Répertoire du RSN ]











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