Le Syndrome du CANDU :

l'effort canadien
pour l'obtention d'un contrat de vente
de réacteurs nucléaires en Turquie



un étude par     David Martin
de l'organisme     Nuclear Awareness Project
pour     la Campagne contre l'expansion du nucleaire

août 1997


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S O M M A I R E


En décembre 1996, la TEAS, société nationale turque productrice d'électricité, lançait un appel d'offres auprès des vendeurs étrangers de réacteurs pour la construction d'une centrale nucléaire. Cette centrale, que le soumissionnaire gagnant financerait aussi à 100 pour cent, serait construite sur les rives de la baie Akkuyu, sur la côte méditerranéenne. Énergie atomique du Canada limitée (ÉACL) a donc préparé une offre pour la construction d'une centrale qui serait composée de 2 ou de 4 réacteurs de 700 MW.

Alors qu'on vient tout juste de fermer le tiers des réacteurs nucléaires au Canada à cause de problèmes de technologie, il est ironique qu'ÉACL essaie de vendre cette même technologie défectueuse à des pays en développement. Si elle se réalisait, cette vente de réacteurs CANDU à la Turquie aurait des conséquences tragiques tant pour les citoyens canadiens que turcs.

De nombreux observateurs croient que l'annonce faite par Ontario Hydro de fermer sept réacteurs nucléaires a marqué le début de la fin de l'énergie nucléaire au Canada. En mars 1998, 10 des réacteurs CANDU d'Ontario Hydro seront fermés, n'ayant été en service, pour la plupart, qu'environ la moitié de leur durée de vie prévue de 40 ans. Les coûts élevés, la piètre performance et les problèmes techniques endémiques font en sorte qu'il y a peu de chances qu'on les redémarre. La performance des CANDU pour l'année 1996 est la pire de toutes les principales filières de réacteurs.

Il n'y a pas eu de commandes pour de nouveaux réacteurs au Canada depuis 1978. Aux États-Unis, c'est sensiblement la même situation: la dernière commande non annulée remonte à 1973.

L'opposition populaire au projet de centrale nucléaire de la baie d'Akkuyu est forte. Comme au Canada, les citoyens de ce pays luttent contre leur gouvernement afin de mettre en place un avenir énergétique qui soit vraiment soutenable, fondé sur l'efficacité énergétique et sur les formes renouvelables d'énergie. À l'encontre du Canada, cependant, la Turquie a toujours la possibilité d'éviter la fâcheuse erreur de s'engager dans la voie nucléaire en optant de ne pas construire de centrales nucléaires du tout.

La Turquie en est à sa quatrième tentative de mise en place d'un programme nucléaire, la première datant des années soixante. ÉACL a dépensé des millions de dollars au milieu des années quatre-vingt dans le cadre d'une tentative infructueuse de lui vendre un réacteur CANDU. ÉACL était parrainée à ce moment-là par le ministre de l'Énergie de l'époque, Jean Chrétien. La soumission d'ÉACL fut l'objet d'un veto du Cabinet du moment parce que le risque financier d'un tel projet était jugé inacceptable. Malheureusement, en tant que Premier ministre, Monsieur Chrétien se trouve maintenant bien placé pour faire approuver l'offre d'ÉACL de vendre des réacteurs CANDU à la Turquie, même si les coûts et les risques sont tout aussi grands, sinon plus, qu'ils l'étaient dans les années quatre-vingt.

La sûreté, les impacts sur l'environnement et les options disponibles

Les réacteurs CANDU ne sont ni plus ni moins sécuritaires que les autres filières de réacteurs nucléaires et le risque d'un accident catastrophique est réel. Les CANDU ont déjà eu leur quote-part d'accidents sérieux; ce n'est qu'une question de temps avant que se produise un accident catastrophique. Il existe en Turquie un potentiel énorme d'économie d'énergie; en effet, contrairement au reste de l'Europe, l'efficacité énergétique s'y est aggravée plutôt que de s'améliorer depuis les années quatre-vingt. Un avenir énergétique vraiment soutenable, tant au Canada qu'en Turquie, se fonde sur l'efficacité et les formes renouvelables d'énergie, et non pas sur l'énergie nucléaire.

Les risques financiers auxquels s'expose le Canada

Dans «Le Budget nucléaire», une étude rendue publique en février dernier par la Campagne contre l'expansion du nucléaire, l'auteur indique qu'Énergie atomique du Canada limitée a reçu plus de 15 milliards $ en subventions fédérales depuis 1952. Il est inconcevable qu'une somme pareille puisse jamais être remboursée au gouvernement canadien par le biais de ventes de réacteurs.

Une partie de l'appui accordé à ÉACL par le gouvernement se trouve dans le financement de 1,5 milliard $ accordé en novembre 1996 lors de la vente de deux réacteurs CANDU à la Chine (coût total de 4 milliards $). La vente de deux réacteurs à la Turquie comporterait un fardeau semblable pour les contribuables canadiens, qui assumeraient non seulement le financement du projet, mais aussi tous les risques de non-remboursement.

On ne peut pas considérer qu'un tel prêt est une transaction commerciale. Comme dans le cas de la Chine, il se ferait par le biais d'une société d'État, soit la Société pour l'expansion des exportations (SEE), sur son «compte Canada». Cela veut dire que les fonds proviennent du fonds consolidé des revenus et que le prêt relève du ministère des Affaires étrangères et du commerce international. Le prêt serait trop élevé et trop risqué pour la SEE seule ou pour une institution financière privée. Voilà comment toute vente de réacteur augmente le fardeau financier des contribuables canadiens.

La Turquie exige un financement à 100 pour cent pour les deux (ou les quatre) réacteurs de 700 MW. Ce financement doit aussi couvrir les coûts locaux dont l'économie turque bénéficiera directement. On ne sait toujours pas si le gouvernement turc va fournir une garantie de prêt «solide». De plus, il y a beaucoup d'incertitude autour des questions suivantes:

ÉACL a gardé secret tous les détails du contrat de vente de deux réacteurs à la Chine en novembre 1996, et ce malgré le fait que ce sont les contribuables canadiens qui ont financé le projet, par le biais du plus important prêt jamais consenti au pays. ÉACL est une société d'État et appartient donc aux contribuables; elle se doit de divulguer les détails des ententes financières qu'elle propose dans son offre à la Turquie pour la vente de réacteurs CANDU.

ÉACL et la corruption

Il est bien établi que des représentants d'ÉACL ont soudoyé des fonctionnaires en Argentine et en Corée du Sud dans les années soixante-dix dans le but d'obtenir des contrats de vente de réacteurs. Les pots-de-vin versés s'élèvent à au moins 22 millions $. Pas plus tard qu'en 1994, l'agent d'ÉACL en Corée du Sud a été trouvé coupable de corruption et condamné à la prison pour avoir soudoyé le directeur de la KEPCO, la société d'État coréenne qui produit l'énergie nucléaire. Dans le passé ÉACL déguisait les pots-de-vin versés en «frais de représentation». Comme il n'y a toujours pas d'amélioration au niveau de la transparence et de la surveillance, il n'est pas exclu que ce genre de pratique se poursuive à ce jour.

La prolifération des armes nucléaires

Le coté sombre de l'énergie nucléaire a toujours été le potentiel de prolifération des armes nucléaires, soit par la production de plutonium -- inévitable sous-produit du fonctionnement d'un réacteur-- ou par le transfert d'informations privilégiées, de technologie ou de matériaux nucléaires. On a souvent rapporté depuis le début des années quatre-vingt que la Turquie aiderait le Pakistan à obtenir des armes nucléaires. La tentative de construction du réacteur argentin CAREM-25 par la Turquie visait probablement la production de plutonium pour des armes nucléaires.

Menace à la sécurité

Les terroristes n'ont pas besoin d'armes nucléaires; ils peuvent provoquer un accident radiologique catastrophique en sabotant ou en bombardant une centrale nucléaire. Dans le cas de la Turquie, cette menace pourrait venir tant de l'intérieur comme de l'extérieur. Ce pays est pratiquement en état de guerre civile depuis plus de dix ans, et la confrontation militaire qui l'oppose à la Grèce pour le contrôle de Chypre ne semble pas vouloir se régler à l'amiable. La Chypre se trouve directement au large de la baie d'Akkuyu, où la centrale serait construite.

Les droits humains en Turquie

La violation des droits humains en Turquie ne date pas d'aujourd'hui, et la situation s'est détériorée ces dernières années. Parmi les plus graves abus, mentionnons la torture et l'exécution de prisonniers, pratiquées de façon courante et systématique; les «disparitions»; les assassinats par des escadrons de la mort; les restrictions imposées à la liberté d'expression; et la détention secrète sans droit à la représentation légale. La guerre que mène l'armée contre les rebelles kurdes a fait quelque 20 000 morts depuis 1984 et a forcé le déplacement de 2 millions de personnes dans les provinces du sud- est où l'état d'urgence est en vigueur.

Le climat politique en Turquie

On ne trouve pas en Turquie le climat de sécurité nécessaire à l'investissement risqué et à long terme de plusieurs milliards de dollars que nécessite le nucléaire. Trois coups d'état se sont succédés ces dernières années, soit en 1960, 1971 et 1980; de plus, les événements des 12 derniers mois ressemblent beaucoup à un coup d'état. Le 18 juin 1997, Necmettin Erbakan, Premier ministre démocratiquement élu, a été forcé par les militaires à remettre sa démission; c'est Mesut Yilmaz, leader du conservateur Parti de la mère-patrie, qui a été nommé Premier ministre. Cette instabilité politique des 12 derniers mois a aussi déstabilisé l'économie du pays. En effet, le taux d'inflation annuel y est de 80 pour cent. Le déficit est de 15 milliards $ et la dette nationale s'élève à environ 100 milliards de dollars.

Conclusion

Il y plusieurs bonnes raisons pourquoi le Canada ne devrait pas exporter de réacteurs nucléaires. Mais si notre gouvernement est si déterminé à aller de l'avant avec ses tentatives d'exportation de CANDU, certaines conditions minimales devraient être mises en place. Voici donc les recommandations que nous faisons au gouvernement du Canada:

  1. exiger la divulgation complète des détails de l'offre proposée à la Turquie et établir en permanence au Canada un mécanisme de consultation publique et de surveillance des pratiques d'ÉACL en affaires;

  2. mettre fin à l'appui du gouvernement pour les prêts à la Turquie pour l'achat de réacteurs;

  3. exiger la divulgation immédiate les frais de représentation des agents d'ÉACL en Turquie;

  4. s'engager à annuler le contrat et à imposer des sanctions commerciales à la Turquie si les violations des droits humains y persistent; et

  5. mettre un terme à toutes les subventions gouvernementales à ÉACL.


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