Comparaison de deux stratégies
de gestion des combustibles irradiés:

Stockage à sec vs.
réduction à la source

No 2




par

Nicolas Tremblay & Philippe Dunsky .

représentant

ENvironnement JEUnesse (ENJEU)

présenté au

Bureau d'audiences publiques sur l'environnement

le 23 septembre 1994





[ TABLE DES MATIERES ]

1.4. Limites et paramètres du mémoire

L'objectif d'ENJEU était de présenter le coût réel du projet de stockage à sec, dans la perspective d'une poursuite des activités de Gentilly-2. Une telle recherche est, par nature, très spéculative. Les valeurs monétaires des externalités de la filière nucléaire sont fort controversées lorsqu'elles sont disponibles, et pour plusieurs impacts, elles n'ont jamais été évaluées.

Compte tenu des délais imposés par la procédure du BAPE, ce mémoire a été préparé, rédigé et présenté en trois semaines. Ce court laps de temps limite considérablement la possibilité des participants au processus de faire des recherches poussées, d'obtenir la documentation nécessaire et de coordonner leurs interventions. De plus, le public est exclu du processus d'élaboration des directives, ce qui prive le promoteur des consignes qui lui permettraient d'offrir les informations les plus pertinentes à l'élaboration de nos positions.

ENJEU a profité d'un appui financier du Bureau fédéral des évaluations d'études environnementales pour le présent mémoire. Cet appui a permis de produire l'essentiel du travail. Toutefois certaines composantes du rapport, notamment le volet traitant de l'hypothèse du remplacement de Gentilly-2, sont le résultat d'un travail bénévole du consultant et des volontaires d'ENJEU.

1.5. Commentaire sur la qualité de l'information du Promoteur

Certains des documents soumis par le promoteur à la Commission du BAPE présentaient des lacunes, des inconsistances et des erreurs importantes. Notamment le document A-47, "Analyse du scénario de la fermeture de la centrale de Gentilly-2 à la fin de 1995 -- Analyse financière et tarifaire", se démarque par son potentiel pour de multiples interprétations. Ledit document compare plusieurs valeurs, citées en plusieurs dollars différents: "dollars constants 1993", "dollars constants 1995", "dollars courants", et "dollars" tout court. Au tableau "Impacts financiers et tarifaires de fermer la centrale Gentilly-2 en 1995", Hydro-Québec fait une erreur monumentale en présentant des dollars réels de 1999 comme étant des dollars courants ("coût de remplacement de la centrale à compter de 1999"). Incapables de comprendre ces chiffres incohérents et cette méthodologie non-orthodoxe (l'addition de dollars courants ne se fait pas), nous avons déduit que les 280 millions présentés étaient en fait basés sur le coût évité de Grande-Baleine en dollars 1993 (4,67 ¢/KWh), ajusté pour 1999 avec un taux d'inflation de 3 pour cent. Cette erreur aurait laissé croire à un coût de remplacement de la centrale de plus d'un milliard de dollars (1993) moindre de ce qu'il est vraiment.

Ces lacunes majeures mettent d'autant plus en évidence la nécessité d'une participation du public lors de l'élaboration des directives et de l'analyse de conformité du rapport d'impact.

2. Méthodologie

2.1. La Planification intégrée des ressources [6]

Dans le cadre des entreprises d'électricité, la planification traditionnelle consiste en une analyse des différentes filières de production. Implicitement, on considère l'électricité et les autres formes d'énergie comme des produits consommés, et le rôle de l'entreprise est de combler cette demande.

La Planification intégrée des ressources (PIR) se distingue de ce modèle en ce qu'elle vise à mettre sur un pied d'égalité les moyens de gestion de la demande et les sources d'approvisionnement. La PIR porte sur les services rendus par l'énergie plutôt que sur le produit comme tel.

La PIR est un outil de planification visant à fournir un plein approvisionnement en services énergétiques (plutôt qu'en électricité) au plus bas coût total (plutôt que monétaire) pour l'ensemble de la société (et non seulement pour l'entreprise).

Les partisans de la PIR la considèrent aujourd'hui comme un cadre analytique et réglementaire relativement complet permettant d'analyser et de mieux comprendre le vaste éventail des enjeux de la planification énergétique. Ainsi le mot "intégrée" peut signifier l'intégration plus poussée de l'offre et de la demande, l'intégration de multiples options de combustibles tant au niveau de l'usager que du fournisseur, l'intégration systématique des considérations environnementales dans la planification, et l'intégration du public à une activité de gestion jusqu'alors strictement interne.

Bien que le choix de construire ou non des modules CANSTOR à Gentilly-2 peut sembler une décision de routine plutôt qu'un enjeu de planification, il est cependant possible, et même souhaitable, d'utiliser les outils qu'offre la PIR pour éclairer cette décision d'une lumière originale.

2.2. Des outils de planification pertinents

2.2.1. Analyse coûts-bénéfices

L'objectif principal de la PIR est de minimiser l'ensemble des coûts pour la société tout en répondant aux besoins en matière de services énergétiques. Il existe plusieurs tests pour évaluer les coûts et les avantages de différents projets, par exemple:

Le test des coûts de l'entreprise mesure les coûts nets (monétaires) pour l'entreprise;

Le test du coût social mesure les coûts nets, plus la valeur monétaire des externalités (environnementales et autres) associées à un projet;

Le test de mesure de l'impact sur les tarifs mesure l'effet d'un programme de gestion de la demande ou d'un plan intégré de ressources sur les tarifs de l'entreprise, c'est-à-dire sur le coût unitaire facturé à tous les clients.

Le plus complet (et complexe) de ces indicateurs est le coût social, utilisé par 5 des 7 entreprises d'électricité pionnières de la PIR en Amérique du nord [7]. Mais même le meilleur indicateur ne peut offrir, sans coup férir, une réponse à toutes les questions. Une des difficultés majeures dans le calcul du coût social, est l'attribution d'une valeur monétaire aux externalités, parfois très difficiles à évaluer. Par exemple: Combien vaut la survie des bélugas? Peut-on l'évaluer sur la base des revenus de tourisme qu'elle génère? Combien sommes-nous prêts à payer pour éviter un risque de cancer supplémentaire de 1/10 000? L'absence de certitude fait intervenir des notions éthiques qui ne peuvent se régler en l'absence d'un vaste débat public sur l'énergie. Une chose doit cependant demeurer claire: la majorité des "externalités" sont des coûts monétaires réels, et ne pas les inclure dans nos analyses coûts-bénéfices, constitue une faille méthodologique inacceptable.

ENJEU a donc choisi d'utiliser le test du coût social pour analyser le projet de "Stockage à sec du combustible irradié de la centrale de Gentilly-2". Afin d'atténuer l'impact de l'incertitude d'une telle analyse, nous avons multiplié les sources de références afin de valoriser les externalités du projet selon des barèmes largement acceptés. En l'absence d'un débat public, il s'agit de la meilleure analyse possible, étant donnés le temps et les ressources disponibles.

À l'heure actuelle, le traitement des externalités a généralement lieu pendant la planification, afin d'orienter le choix des nouvelles ressources. Bien qu'on s'assure de cette façon que le parc de nouvelles ressources énergétiques sera optimisé au plan environnemental, on n'aborde pas les impacts environnementaux du réseau existant. On a critiqué les méthodologies des externalités, car elles pourraient effectivement faire augmenter les impacts négatifs totaux du réseau en retardant les investissements dans de nouvelles ressources aux impacts moindres pour remplacer les sources existantes. Cet argument ne tient pas compte du fait que la méthode idéale élargirait la question des externalités à l'exploitation et au déclassement des ressources existantes. Pour corriger ce genre de paradoxe, l'Institut Tellus recommande l'analyse du réseau existant.

ENJEU évaluera le coût social du projet de stockage et le comparera au coût social engendré par l'arrêt de la production des combustibles irradiés.

2.2.2. Établissement des coûts évités

Le calcul des coûts évités est un point faible pour bon nombre d'entreprises d'électricité, selon l'Institut Tellus. Plusieurs entreprises, dont Hydro-Québec, fondent leurs calculs sur l'hypothèse de la construction d'une centrale-type, par exemple, le complexe de Grande-Baleine. La faiblesse de cette analyse consiste en ce que les entreprises n'incluent pas automatiquement tous les facteurs techniques dans leurs calculs de coûts évités (différents décréments de charge, puissance, durée de vie utile de l'option évitée, etc). Le terme doit être clairement défini avant d'être utilisé afin d'éviter la confusion; dans un contexte de services énergétiques, toute dépense sert à en éviter une autre.

ENJEU, dans son analyse du coût évité, a étudié spécifiquement le coût de remplacement du service offert par la centrale de Gentilly-2, soit une production de 685 MW de puissance - 5 TWh/an en énergie - pour la période 1996-2010.

3. Coût social du projet

Dans ce chapitre, nous estimerons le coût social (incluant externalités) du projet de stockage à sec, soit l'ensemble des coûts liés à l'opération continue de la centrale de Gentilly-2 entre 1996 et 2010 inclusivement.

Le coût social du projet de stockage ne tient pas compte des dépenses déjà encourues ("sunken costs") pour la construction de la centrale, ni des coûts inévitables de déclassement et d'évacuation du combustible déjà utilisé. Les coûts calculés dans ce chapitre sont donc évitables.

La monnétisation des externalités est une discipline récente, controversée, et relativement spéculative. Tout au long de cette analyse, nous avons choisi de faire référence à des études largement acceptées, et de fournir pour fins de comparaison, l'éventail des valeurs suggérées par la littérature.

Les valeurs citées sont en dollars canadiens de 1993, mais certaines données recueillies n'étaient pas spécifiquement datées. Tous les dollars sans date précise, mais cités dans des études ultérieures à 1990 ont été considérés comme équivalents au dollar de 1993.

3.1 Coûts financiers

3.1.1 Coûts financiers pour Hydro-Québec

Tous les coûts calculés dans cette section sont des coûts financiers qu'Hydro-Québec devra assumer directement. Ces coûts sont déjà inclus dans l'analyse d'Hydro-Québec, à l'exception du coût du vieillissement de Gentilly-2.

Des études faites sur les réacteurs CANDU d'Hydro-Ontario ont démontré que le facteur d'utilisation [8] d'une centrale nucléaire augmente durant les 10 premières années de production, puis décroit par la suite [9]. La centrale de Gentilly-2, qui a 11 ans, est donc en ce moment à son apogée. Il serait prudent, dans les prévisions de production future, de prévoir une diminution de son rendement. Toutefois Hydro-Québec, dans ses calculs, prend pour acquis une production soutenue de 5 TWh/an (soit un facteur d'utilisation élevé de 83 pour cent), constante pour les 15 prochaines années [10].

Cette prévision est beaucoup trop optimiste. Gentilly-2 a produit une moyenne de 4,6 Twh/an entre 1983 et 1992 [11] et il serait étonnant que la moyenne des 15 prochaines années soit supérieure. Aucun des réacteurs d'Hydro-Ontario de plus de 15 ans (l'âge de Gentilly-2, dans 4 ans) n'a un facteur d'utilisation supérieur à 80 pour cent [12].

Figure 1

Facteur d'ultilisation moyen des réacteurs d'Ontario Hydro
en fonction de l'âge et pertes de production anticipées pour Gentilly-2


La courbe de décroissance moyenne des réacteurs d'Hydro-Ontario, transposée à Gentilly-2, laisse présager un manque à gagner d'à peu près 6,3 TWh entre 1996 et 2010, soit plus d'une année complète de production (figure 1) [13]. Pour la période 1996-98 en particulier, ces pertes se limitent à 0,072 TWh.

Le coût de remplacement de cette production, sur une base approximative de 4,67 ¢/KWh (dollars 1993) [14], s'élève à un total de 294,2 millions, soit 19,6 millions de dollars par an nivelés sur 15 ans. Cette décroissance prévisible de la production de Gentilly-2 entraine un coût supplémentaire de 0,39 ¢/KWh.

Tableau 1

Sommaire des coûts financiers pour Hydro-Québec

Coûts d'opération annuels de la centrale [15] 90,0 millions/an
Travaux d'entretien prévus [15] 15,0 millions/an
Coût d'entreposage à sec du combustible irradié
(40 millions de dollars au total) [15]
2,7 millions/an
Coûts supplémentaires, lors du
déclassement et de l'évacuation du combustible,
imputables à la période d'opération 1996-2010
(166 millions de $ au total) [16]
11,1 millions/an
Coût du vieillissement (pertes de production) 19,6 millions/an
Total annuel 138,4 millions/an
1996-2010 2 076 millions
Coût unitaire [17] 2,768 ¢/KWh


3.1.2. Subventions du gouvernement fédéral à Énergie atomique du Canada Limitée

Entre 1988 et 1993, les contribuables canadiens ont payé 1,2 milliards de dollars en subventions directes et indirectes à Énergie atomique du Canada Limitée (EACL); les chiffres annuels varient de 165 millions de dollars en 1989 à 281 millions en 1992 [18]. La majeure partie de ces subventions va à la recherche et au développement; une partie va aux activités de déclassement et au remboursement du capital sur des prêts pour les usines d'eau lourde. Gentilly-2 a bénéficié de ces investissements.

La portion imputable à Gentilly-2 a été calculée sur la base du pro-rata de sa contribution (en puissance totale), dans le bilan énergétique nucléaire canadien, soit à peu près 4 pour cent [19] (ie. 4 pour cent des investissements publics dans EACL sont un coût social lié à Gentilly-2), pour un montant de 48 millions sur six ans, une moyenne de 8 millions de dollars par an. Ce montant represente une externalité de 0,16 ¢/KWh, payée par l'ensemble des canadiens et des canadiennes.

Il est justifié de se demander si ce montant, basé sur des données passées, représente avec justesse les coûts futurs imposés aux contribuables par EACL. Les subventions gouvernementales à EACL font l'objet d'une entente de sept ans qui prendra fin le 31 mars 1997. Il est permis de croire que le financement de EACL diminuera, mais cette hypothèse semble peu vraisemblable. Le Vérificateur général, dans ses deux derniers rapports annuels, critique sévèrement EACL pour avoir négligé de rendre compte correctement du coût de déclassement prévu de ses installations. Celles-ci incluent des réacteurs désuets (dont celui de Gentilly-1), des sites et des équipements contaminés, et des combustibles irradiés hautement radioactifs. Il est fort probable que EACL nécessitera une infusion majeure de capitaux dans un avenir prochain pour couvrir ces coûts [20].

3.2. Coûts liés à la santé et à l'environnement

3.2.1. Coûts monétisables

Les coûts décrits dans cette section ont déjà fait l'objet de recherches rigoureuses. La plupart des auteurs divergent cependant sur la valeur exacte de ces externalités. Toutes les valeurs soumises représentent un indice du niveau de risque et ne devraient pas être interprétées comme des probabilités exactes.

3.2.1.1 Risque pour la santé publique - opération de la centrale

Cette section abordera la question des risques pour la santé liés aux opérations de routine d'une centrale nucléaire.

Les risques pour les travailleurs d'une centrale peuvent être divisés en deux catégories: les risques radiologiques, liés à l'exposition quotidienne à une dose de radiations supérieure au bruit de fond, et les risques non-radiologiques tels les incendies, les chutes, etc. Les risques au public sont essentiellement liés aux faibles doses de radiation, insignifiantes pour un individu isolé, mais non-négligeables dans une étude probabiliste à grande échelle. Les données étudiées proviennent surtout des États-Unis et leur pertinence dans le contexte canadien devrait être vérifiée.

On estime par ailleurs à 10 cas annuellement le nombre de décès imputables à l'industrie nucléaire au Canada [21]. Le nombre total de cancers non-mortels est sans doute plus élevé.

De nombreux scientifiques ont tenté d'estimer le danger réel causé par les faibles doses de radiation émises dans le cours des activités de routine d'une centrale nucléaire. On a longtemps cru qu'il existait une dose de radiations en deça de laquelle les impacts sur l'humain étaient négligeables. Mais des réinterprétations récentes de données épidémiologiques de Hiroshima et Nagasaki prouvent qu'il n'existe aucun seuil minimum et que même les doses les plus minimes de radiations ont un effet cancérigène. Les agences réglementaires telles la "International Commission on Radiological Protection" (ICRP), et le "National Research Council" (NRC) recommandent la prise en compte de toute radiation émise, même en dose minime. Il est pertinent de noter que les études récentes concluent fréquemment que les risques radiologiques sont supérieurs à ceux montrés par des études plus anciennes [22].

Pace [23] a fait une analyse détaillée des différents facteurs de risque et a compilé les plus importantes études faites sur le sujet avant 1991. Afin d'estimer le coût monétaire des impacts sur la santé, trois éléments doivent être compilés et intégrés dans un calcul consistant:

  1. les risques (nombre d'incendies, d'accidents, doses de radiation...);

  2. les impacts de ces risques sur la santé (morts accidentelles, blessures, probabilités épidémiologiques de développer un cancer...); et

  3. un estimé de la valeur monétaire de la vie humaine et de la santé.

    Ces trois composantes sont porteuses de controverse, et peuvent varier d'un site à l'autre.

    Pace utilise comme valeur pour la vie humaine 4 000 000 $ US, soit à peu près la moyenne de l'ensemble des études consultées [24]. La marge d'écart, selon l'étude de Pace, s'étend de 1,3 millions à 12,8 millions. La valeur d'une blessure ou d'une maladie a été évaluée à 400 000 $ US.

    Les évaluations des externalités liées à l'impact des opérations de routine d'une centrale nucléaire sont présentées au tableau 2.

    Tableau 2

    Externalités dues aux risques pour la santé de l'opération de la centrale


    (Tiré de: US Atomic Energy Commission [25],
    Shuman & Cavanagh [26], et Spangler [27],
    tels que cités dans Pace)

    Coût (¢/KWh)
    min.estimémax.
    Mortalité (latente et immédiate) - travailleurs0,0095N/A0,125
    Blessures et maladies - travailleursN/A0,0260N/A
    Mortalité et maladies - public0,0012N/A0,0014
    Total
    0,0367 - 0,1524


    ENJEU recommande d'attribuer une valeur de 0,0946 ¢/KWh au coût externe causé par le risque pour la santé publique d'une centrale nucléaire en opération normale, soit la moyenne des études ci-haut mentionnées.

    3.2.1.2. Risque pour la santé publique -- production du combustible

    Pour chaque TWh d'électricité nucléaire produite, près de 12 tonnes de déchets miniers sont excavés et empilés aux abords des mines d'uranium [28]. Un gaz inerte radioactif, le radon, se dégage de ces piles de déchets. Les émissions de radon se poursuivent pour de nombreuses années, voire des siècles, après l'excavation du minerai. Resnikoff [29] assume que les émissions sont éternelles.

    La valeur actualisée d'un impact échelonné sur une très longue période dépend fortement du taux d'actualisation choisi. Il est commun chez Hydro-Québec d'utiliser un taux d'actualisation réel de 6,5 pour cent pour ses analyses financières. Ce taux n'est cependant pas applicable à l'analyse des externalités environnementales. À cet égard, un taux d'actualisation de 3 pour cent est généralement accepté [30], et plusieurs analystes recommandent l'utilisation d'un taux de 1,5 pour cent pour les effets à très long terme (par exemple dans le cas des changements climatiques) [31, 32]. Chernick, qui utilise aussi une valeur de 4 millions de dollars US par vie humaine, a calculé le coût des émissions de radon pour différents taux d'actualisation [33]. Ses résultats sont présentés à la figure 2.

    Figure 2

    Valeur des émissions de radon
    selon différents taux d'actualisation

    Un taux d'actualisation de 3 pour cent correspond à des externalités de 0,09 ¢/KWh tandis que un taux de1,5 pour cent correspond à un coût de 0,17¢/KWh. ENJEU considère que la longévité des impacts justifie un taux d'actualisation de 1,5 pour cent, dans une perspective d'équité inter-générationnelle. Cette valeur demeure fort modeste comparativement à l'évaluation de Shuman & Cavanagh [34] (0,33 à 21,5 ¢/KWh), ou à celle de Resnikoff [35] (20 à 210¢/KWh).

    3.2.1.3 Risque pour la santé publique -- Déchets radioactifs

    Quelques études, citées par Hydro-Ontario, ont tenté d'estimer les impacts des déchets radioactifs pour la santé publique.

    Deux études [36] se sont penchées sur les déchets à faible intensité. "CT Yankee & Millstone 1,2 & 3" calcule une externalité entre 0,0004 et 0,004 ¢/KWh; alors que "Unnamed PWR" offre une marge de 0,0044 et 0,005 ¢/KWh. ENJEU, sous réserve, suggère d'adopter une valeur prudente de 0,004 ¢/KWh, à la limite des deux études consultées.

    Trois études [37] ont abordé les risques liés au stockage des combustibles irradiés, offrant une plage de valeurs entre 0,00008 et 0,0057 ¢/KWh. ENJEU, sous réserve, suggère d'adopter le valeur moyenne de 0,003 ¢/KWh.

    ENJEU n'a pas vérifié la méthodologie employée pour ces études et la pertinence de ces valeurs devrait être vérifiée.

    3.2.1.4 Risque d'accident nucléaire grave

    Estimer les probabilités d'un accident nucléaire suffisamment grave pour endommager le réacteur et libérer une quantité dangereuse de radioactivité est un exercice difficile et controversé. Les accidents sont suffisamment rares pour rendre les analyses statistiques suspectes. Les marges d'incertitude résultent aussi d'un manque de données sur la fiabilité des équipements et des systèmes informatiques, les probabilités d'erreurs humaines, et les risques externes (tremblements de terre, terrorisme et sabotage, accidents d'avion...) [38]. Une vaste incertitude demeure quant à l'étendue des dommages que pourrait causer un accident nucléaire dans différents types de réacteurs.

    On a longtemps cru que les réacteurs CANDU étaient à l'abri des accidents. Il est vrai qu'aucun accident majeur n'a eu lieu dans un réacteur canadien malgré un total de 170 années-réacteur (avant 1991). Mais, comme nous le rappelle sobrement la Commission de contrôle de l'énergie atomique (CCEA), les situations potentiellement dangereuses sont courantes et les réacteurs CANDU ne peuvent pas être considérés comme étant plus sécuritaires que les autres genres de réacteurs [39].

    L' "évaluation de risque probabiliste" (ERP) est une méthode utilisée pour évaluer les risques spécifiques à un réacteur en modélisant toutes les séquences possibles de défaillances pouvant mener à un accident. L'ERP tend à donner des probabilités d'accident sous-estimées par un facteur inconnu car elle ne tient compte que des séquences d'accident modélisées. Plusieurs accidents sérieux, dont celui de Three Mile Island ont été causés par des déficiences imprévues dans l'ERP [40].

    Malgré ces difficultés, il existe plusieurs estimés sur les probabilités d'un accident nucléaire. Le U.S. National Research Council (USNRC) estime que le risque d'un accident impliquant la destruction du coeur d'un réacteur est de 1 pour 3 333 années-réacteur [41]. Hohmeyer utilise des probabilités de 1/2 000 à 1/20 000 pour des réacteurs ouest-allemands. L'accident de Chernobyl représenterait un risque de 1/3000 [42]. Chernick et al. se sont basés sur les prévisions des assureurs, qui estiment les risques d'une vaste gamme d'accidents, incluant un accident tel celui de Three Mile Island, à 1/1000 [43]. Il estime par ailleurs que le risque d'un accident comme Chernobyl à la centrale de Darlington en Ontario est de 1/10 000 [44].

    Les différents scénarios d'accident envisagés vont de l'accident de Three-Mile Island (entre 3,5 et 6 milliards de dollars US en dégats presque exclusivement matériels), à l'explosion hypothétique de la centrale de Darlington, causant des dommages matériels et des pertes humaines considérables à très long terme, pour un total de 1000 milliards de dollars [45], en passant par Chernobyl, estimé à 580 milliards US [46].

    Le coût social associé au risque d'accident est généralement évalué comme étant le montant que devraient mettre de côté tous les opérateurs de réacteurs nucléaires, afin de pouvoir faire face à l'éventualité d'un accident grave (dédommagements complets). Aucun des chercheurs indépendants n'écarte complètement la possibilité d'un accident grave, seule Hydro-Ontario considère comme irréaliste tout calcul basé sur un événement de type Chernobyl [47]. Les auteurs divergent sur les accidents réalistes, et sur les probabilités à adopter, mais plusieurs marges d'incertitude se chevauchent, comme l'illustre le tableau 3.

    Tableau 3

    Externalités dues au risque d'accident nucléaire grave


    Auteurs
    Coût (¢/KWh)
    min.estimémax.
    Pace [48]N/A3,0N/A
    Hohmeyer [49]0,000016N/A2,97
    Shuman & Cavanagh [50]0N/A2,73
    Chernick et al. [51]2,6N/A15,0


    ENJEU recommande l'utilisation d'une valeur de 2,26 ¢/KWh, soit la moyenne des minimums et maximums, après avoir éliminé les valeurs extrèmes (15 et 0).

    À l'heure actuelle, les opérateurs de centrales nucléaires canadiennes ne sont pas responsables des dommages qu'un accident pourrait causer au delà de 75 millions de dollars, et les fournisseurs de matériel utilisé dans les centrales sont exonérés de toute poursuite en cas de défaillance [52]. Le gouvernement canadien se porte garant de l'industrie nucléaire, ce qui représente un subside considérable. S'il n'en était pas ainsi, les centrales nucléaires canadiennes auraient de la difficulté à s'approvisionner en matériel, et le coût nécessaire pour les assurer serait prohibitif [53].

    3.2.1.5. Impacts sur l'écosystème aquatique

    On utilise 180 litres d'eau pour chaque KWh produit par un réacteur CANDU [54] (soit près de 30 m3/seconde pour Gentilly-2). Cette eau, puisée à même le fleuve Saint-Laurent, sert à refroidir la vapeur qui actionne les turbines. Après un bref séjour dans un échangeur de chaleur, cette eau, réchauffée, est renvoyée dans le Saint-Laurent. Pace [55] est le seul auteur qui fait une analyse de l'impact sur la faune et la flore aquatique de ce phénomène. L'impact principal d'un tel système est le réchauffement de l'eau à l'endroit où a lieu la décharge. Ce réchauffement cause une transformation locale de l'écosystème aquatique, favorisant certaines espèces, en défavorisant d'autres. Un choc thermique sérieux survient à chaque fois que le réacteur s'arrète, tuant bon nombre de poissons et de micro-organismes, mal adaptés au changement. De nombreux poissons et micro-organismes sont aussi tués sur les grilles d'entrée d'eau, filtres, et à l'intérieur du système. Le coût externe de cet impact est hautement spécifique au site affecté. La présence de poissons commercialement exploités ou le déversement près d'un écosystème protégé augmenteraient considérablement la valeur de cette externalité. Pace recommande donc que le coût externe associé à la consommation d'eau et à l'impact sur l'écosystème aquatique soit évalué sur la base du coût de remplacement d'un système de refroidissement "à passage unique", par un système de refroidissement "en circuit fermé", soit 0,01 ¢/KWh. La pertinence de cette valeur dans le contexte de Gentilly-2 devrait faire l'objet de vérifications.

    [ Stockage à sec -- No 3 ]


    [ Exemple de mémoire ]

    [ Répertoire du RSN ]

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